Laïcité ? L’une des définitions de nos membres

Nous reproduisons ici, avec son aimable autorisation, la définition (relue et revue au 03 mai 2021) de la notion – entendue juridiquement – de Laïcité telle que présentée par le pr. Touzeil-Divina au Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017).

Cette définition est subjective et personnelle ; propre à son auteur.
Elle n’engage en rien le LAIC-Laïcité(s).

par Mathieu TOUZEIL-DIVINA, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre du Collectif L’Unité du Droit, membre du LAIC-Laïcité(s) [photo UT1 ©]

Laïcité. Nom féminin. A base de soufre. Terme si passionné en France qu’il est presque plus sage de ne pas tenter de le définir ! L’exercice du dictionnaire [dont est issu le présent texte] y obligeant cependant, on retiendra – par son étymologie – qu’un laïc est avant tout une personne qui n’est pas membre du clergé. Autrement dit, la Laïcité qui s’en émane n’implique pas nécessairement une attitude anticléricale mais indique seulement la non-appartenance au ministère d’une religion donnée ; le laïc pouvant par ailleurs être très croyant et pratiquer une religion. Juridiquement, la Laïcité est un principe normatif dit de valeur constitutionnelle et corollaire de celui de neutralité religieuse (I à III).

I. Laïcité, neutralité & respect(s)

En France, la notion de Laïcité – qui n’est pas synonyme de liberté de religion(s) ou de culte(s) mais en est le complément naturel – implique notamment deux obligations distinctes de la part de l’Etat. En effet, non seulement celui-ci (comme toutes les autorités et services publics) ne doit pas manifester une préférence religieuse quelconque (ce qui implique que ces agents publics doivent être muets en la matière et ne faire état d’aucun signe dit prosélyte) mais encore qu’il ne doit être témoigné aucune préférence, aucune aide ou aucune défiance ou rejet envers les religions, leurs ministres et fidèles ainsi qu’eu égard aux phénomènes et comportements religieux.

Autrement dit, la Laïcité prône la non-ingérence mais aussi le respect des deux sphères contingentes temporelle et spirituelle. Elles ne s’affrontent pas, ne fonctionnent pas ensemble mais ne s’ignorent pas pour autant ; chacune étant conduite à respecter l’autre et ses frontières de compétence(s) et d’action(s). La Laïcité ainsi conçue fait suite à une alliance, en France, des Eglises et de l’Etat ; alliance dont le divorce s’est matérialisé sous la Troisième République entre 1880 et 1910 avec, en point d’orgue formel, le vote de la Loi du 09 décembre 1905 proclamant précisément la séparation des Eglises et de l’Etat.

La Laïcité est la matérialisation de cette séparation historique des Eglises et de l’Etat. Elle implique juridiquement une neutralité des agents publics et de l’espace public mais la Laïcité n’est ni bienveillante ni malveillante avec les religions et les croyants : elle “est” neutralité.

II. Laïcité, des obligations matérialisées

Concrètement, la Loi de 1905 implique par exemple (art. 09 de la Loi) que la République ne subventionne directement ou indirectement aucun culte et qu’aucun emblème religieux (comme une crèche de la nativité par exemple) ne soit volontairement, et après 1905, mis en avant par une émanation de la puissance publique. Peu de pays, en Europe et dans le monde, la pratiquent, contrairement à ce que notre ressenti national pourrait nous faire croire.

La Laïcité est bien en ce sens une « exception », une particularité.

III. Laïcité – latitudinaire – désormais ?
Laïcité constitutionnelle ? vraiment ?

Toutefois, la Laïcité n’est pas la notion la plus lisse et aisée à mettre en œuvre du droit public français ne serait-ce que parce qu’elle ne s’applique pas sur tout le territoire républicain de façon uniforme (certains lieux “fermés” comme les hôpitaux, les casernes, prisons ou même écoles et certaines collectivités d’Outre-Mer et d’Alsace-Moselle notamment bénéficiant de tempéraments (sinon de véritables dérogations et exception) d’importance).

En outre, la notion est très souvent manipulée par les acteurs politiques et médiatiques qui s’en saisissent parfois, jouant avec le feu, pour alimenter quelques peurs et lui faire dire tout et son contraire. D’aucuns, ressuscitent alors le concept de « Laïcité (de) combat » (qui a bien existé en France autour du vote de la Loi de 1905) et qui fut une Laïcité négative vis-à-vis des religions et hostile à leur expression : une Laïcité de défiance cléricale. A l’inverse, d’autres auteurs (dont un ancien Président de la République) prônent une Laïcité dite positive (sic) qui, au-delà de la stricte neutralité, serait désormais bienveillante et donc « positive » à l’égard des religions et – bien entendu – au profit de toutes les religions y compris celles qui sont de plus en plus matérialisées sur le territoire national. Nous condamnons avec fermeté cette dernière expression qui par son adjectif sous-entend que la Laïcité serait synonyme d’antireligieux (d’où l’appel à une vision positive et pacifiée).

Or, la Laïcité n’est pas l’antonyme des religions, elle est simplement l’a-religion dans la sphère publique à l’instar, du reste, de celle qu’appelait déjà saint Augustin (354-430) de ses vœux lorsqu’il imaginait ses deux « Cités » : celle terrestre des hommes et celle, céleste, de Dieu : « Deux amours ont donc bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité de la Terre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité de Dieu » (La Cité de Dieu, XIV,28,1). L’absence de liens directs et l’indifférence doivent donc seules régir, selon nous, la Laïcité. Henri Pena-Ruiz dans son dictionnaire amoureux de la laïcité (2014) déclare ainsi : « Le mot recouvre à la fois le caractère non confessionnel de la puissance publique et son orientation de principe vers ce qui est commun à tous les hommes, par-delà leurs « différences » d’options spirituelles ou philosophiques ». Toutefois, le mélange contemporain des conceptions nous pousse à constater l’existence d’une Laïcité aux frontières floues d’où le terme employé de « latitudinaire ». C’est sûrement pour cette raison que le Conseil d’Etat et les juridictions de manière générale préfèrent souvent ne pas aborder de front la question laïque et celle de ces atteintes contestées, car la notion « sent le soufre » et enflamme les passions. C’est ainsi une notion de Laïcité à géométrie bien variable que nous voyons parfois se dessiner. S’agissant du financement public direct des cultes, la Laïcité est généralement stricte : areligieuse. Lorsque l’ordre et l’intérêt publics sont évoqués, elle devient libérale et accepte parfois de s’effacer. Dans certains territoires de la République, elle est même inexistante.

Nous comprenons le pragmatisme mais il ne doit pas impliquer pour autant une négation ou le gommage d’un principe – tout de même dit ou prétendument – constitutionnel.

Constant ce caractère “latitudinaire” de la notion juridique de Laïcité, nous pensons même (ce que nous avons notamment développé in Dix mythes du droit public (Paris, Lgdj; 2019; chap. 01) qu’il est préjudiciable d’affirmer l’existence d’un véritable principe constitutionnel de Laïcité. Nous pensons, plutôt, qu’il s’agit d’un objectif (ou idéal républicain assumé) constitutionnel eu égard précisément au nombre de Lois et parfois même de normes infra législatives acceptant des exceptions quasi illimitées audit et prétendu principe constitutionnel.

Nota bene :
l’auteur désirant donner de l’importance au terme de Laïcité il lui accorde sciemment et subjectivement une majuscule de personnification.

Biblio.   Bauberot Jean, Laïcité 1905-2005 ; entre passion et raison ; Paris, Seuil ; 2004 ; Koubi Geneviève, « Vers une déconstruction du principe de laïcité ? » in Rdp ; 2004, n° 2 ; p. 325 ; Pena-Ruiz Henri, Dieu et Marianne : philosophie de la laïcité ; Paris, Puf ; 2005 et Dictionnaire amoureux de la laïcité ; Paris, Plon ; 2014 : Remond René, L’invention de la laïcité française ; de 1789 à demain ; Paris, Bayard ; 2005 ; Touzeil-Divina Mathieu, « Le traitement fictionnel d’un « moment parlementaire réel » : la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat » in Le Parlement aux écrans ! ; Le Mans, L’Epitoge-Lextenso ; 2013 ; p. 71 et s. ; Touzeil-Divina Mathieu & Esteve-Bellebeau Brigitte (dir.), « Laï-Cité(s) » ; Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité ; numéro III des Cahiers de la Lutte Contre les Discriminations (Lcd) ; Paris, L’Harmattan ; 2017 ; Trotabas Louis (dir.), La laïcité ; Paris, Puf ; 1960 avec de célèbres contributions de MM. André Hauriou, Emmanuel Levinas, François Mejean, Jean Rivero et René Remond.

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