L’avis dit Marteaux : 1ère décision laïque du mois (mai 2021)

En partenariat étroit avec le Journal du Droit Administratif, tous les mois, en moyenne, le LAIC-Laïcité(s) compte mettre en ligne et en avant au moins une décision juridictionnelle d’actualité ou dont on célèbrera « l’anniversaire » ; l’ensemble de ces décisions aura alors vocation à rejoindre le recueil prétorien précité. Vous trouverez ci-dessous la liste des décisions retenues à partir du mois de mai 2021, date de création du présent site Internet.


mai 2021

CE, Avis, [req. 217017] 03 mai 2000, Julie Marteaux ; (laïcité et fonctions publiques) ; [J2000-CE-217017] ; Présentation par le Pr. Touzeil-Divina ;



par Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre du Collectif L’Unité du Droit, membre du LAIC-Laïcité(s) [photo UT1 ©]

Présentation :

La première décision choisie par le LAIC-Laïcité(s) pour inaugurer la chronique Laïcité(s) du Journal du Droit Administratif est l’un des plus célèbres avis contentieux du Conseil d’Etat en matière laïque. Les éléments qui suivent et le présentent ne sont pas un “commentaire” à proprement parler mais un simple exposé le plus objectif possible des éléments factuels et normatifs à retenir.

Rendu le 03 mai 2000, à la suite d’une saisine pour avis contentieux du Palais Royal par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (en application de l’art. 12 de la Loi n°87-1127 du 31 décembre 1987), l’avis dit Juliette Marteaux (du nom de la requérante initiale) énonce plusieurs principes expressément repris par suite par les gouvernants (par le biais de circulaires et autres notes de service) puis par le Législateur français lui-même pour gérer la question laïque confrontée aux agents publics. Concrètement, Mme Marteaux cherchait à annuler un arrêté du recteur de son académie (Reims) ayant mis fin à ses fonctions de surveillante intérimaire à temps complet. Et, n’osant trancher directement la question, le tribunal administratif de Châlons en avait posé les trois questions suivantes à la plus haute juridiction :

“1°) les exigences tenant aux principes de la laïcité de l’Etat et de la neutralité des services publics qui fondent l’obligation de réserve incombant à un agent public, doivent-elles être appréciées en fonction de la nature des services publics concernés ;

2°) dans le cas du service public de l’enseignement, convient-il de distinguer suivant que l’agent assure ou non des fonctions éducatives et, dans cette éventualité, suivant qu’il exerce ou non des fonctions d’enseignement ;

3°) convient-il, dans certains cas, d’opérer une distinction entre les signes religieux selon leur nature ou le degré de leur caractère ostentatoire ?”

Très concrètement (pour le cas de Mme Marteaux), le juge avait estimé que :

“le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ;Les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté ;”

En conséquence, non seulement, le Conseil d’Etat condamnait de manière générale tout acte de prosélytisme religieux par un agent public de l’enseignement public mais il faisait précéder ces termes de considérations encore plus générales selon lesquelles :

“Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble de ceux-ci ;

… ajoutant ensuite s’agissant de l’Education nationale :

Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses”

CE, Avis, [req. 217017] 03 mai 2000, Julie Marteaux ; (laïcité et fonctions publiques) ; [J2000-CE-217017].

Par suite, ce sera donc (en 2016) l’article 25 de la Loi dite statutaire n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui disposera que :

“Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité.
Dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu à l’obligation de neutralité.
Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses.
Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité.
Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. Tout chef de service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service”.

Art. 25 (modifié par l’art. 1er de la Loi n°2016-483 du 20 avril 2016.

… les principes, dégagés par l’avis dit Marteaux, ont ainsi et désormais valeur législative. Au préalable, même, a-t-on évoqué supra, ces principes avaient d’abord été repris par les gouvernants au moyen de plusieurs actes pararéglementaires dont :

  • la circulaire DHOS/G no 2005-57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé (spécialement donc pour les hôpitaux & cliniques)
  • mais aussi de manière plus générale à travers la circulaire du 15 mars 2017 relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique (NOR: RDFF1708728C).

Comme dans la plupart des normes en matière laïque on relèvera alors le raisonnement en deux temps du juge administratif :

  • d’abord il rappelle et énonce que les agents publics sont libres de croire (ou de ne pas croire) et conséquemment d’adopter à titre individuel une religion, un culte mais ce, de façon privée ; sur ce point les agents publics sont des citoyens à part entière ; leur liberté de conscience est consacrée et protégée et implique la prohibition (et potentiellement la sanction) de tout acte ou fait discriminant un agent public eu égard à ses seules croyances ;
    • est ainsi prohibée toute discrimination en faveur ou au détriment d’un agent du seul fait de sa croyance religieuse réelle ou présumée et ce, tant lors du recrutement[A1] que lors du déroulement de sa carrière[A2].
  • ensuite, l’avis Marteaux énonce que les services publics (quelle que soit leur nature pour reprendre l’une des questions du Tribunal Administratif auteur de la saisine et donc qu’il s’agisse de services administratifs ou même industriels et commerciaux (spa & spic)) sont soumis, comme l’est le service public de l’enseignement public, aux principes de neutralité (religieuse) et de laïcité ; principes impliquant que les agents publics ne puissent faire état de leur foi. Puisqu’ils incarnent la fonction et le service publics, ils doivent faire disparaître, en service, leur identité et leur croyances religieuses au seul profit de l’action publique et de l’intérêt général neutres et laïques. Tout comportement prosélyte d’agent public en est conséquemment sanctionné ce qui est l’application même de l’art. 25 de la Loi statutaire préc. ou encore du présent avis Marteaux l’ayant inspiré.
    • Est ainsi prohibé le fonctionnaire qui fait publiquement usage de son adresse électronique professionnelle (engageant ainsi et a minima l’image de son employeur public laïque) dans un cadre associatif religieux[1].
    • Il en est de même de ceux distribuant en service des écrits religieux sur supports matériels[2] ou numériques[3].
    • S’applique également en la matière le contentieux fourni du port – interdit – des habits sacerdotaux ou religieux par des agents publics en service ce qui est, par exemple, le cas du hidjab et ce, non seulement dans des services publics gérés par des personnes publiques[4] mais encore – même – par des personnes privées[5]. Il n’en est en revanche, heureusement, pas de même s’agissant du seul port de la barbe contrairement à ce que d’aucuns – y compris en jurisprudence – avaient estimé[6].

Nota bene : les éléments dégagés dans le présent avis et repris par suite dans les normes plus traditionnelles préc. s’applique non seulement aux agents fonctionnaires des trois fonctions publiques françaises soumis aux Lois statutaires issues de la Loi du 13 juillet 1983 mais encore aux contractuels de droit public des services publics (art. 32 du titre 1er du statut général).

En résumé : peu importe le signe religieux,
peu importe le statut de l’agent,
peu importe la nature du service public,
peu importent même les intentions du travailleur,
la manifestation publique extérieure et religieuse d’un agent public en service public est interdite.


[A1] Est ainsi annulé le concours d’officiers de police au terme duquel le jury avait interrogé un candidat sur ses pratiques confessionnelles familiales : CE, 10 avril 2009 ; M. El Haddioui, n° 311888, Rec. 158.

[A2] De jurisprudence constante, est ainsi prohibé tout refus d’évolution de carrière (comme en l’espèce la titularisation d’une institutrice suppléante) du seul fait des croyances religieuses de l’agent : CE, 03 mai 1950, Demoiselle Jamet ; req. 98284 ; Rec. 247. Plus récemment, le juge de cassation a même très étonnamment validé le fait qu’un prêtre devienne même Président d’une Université laïque ce qui n’est pourtant pas une évolution de carrière mais une élection comme administrateur (CE, 27 juin 2018, Syndicat national de l’enseignement supérieur Snesup-Fsu (req. 419595) avec nos obs. in Jcp G ; 09 juillet 2018 ; n° 27, p. 07 et s.).


[1] CE, 15 oct. 2003, Odent ; req. 244428 ; Rec. 402.

[2] CE, 19 février 2009, Bouvier ; n° 311633 ; Rec. T. 813.

[3] CAA de Versailles, 30 juin 2016, C. c. Commune de Sceaux ; req. 15VE00140.

[4] En ce sens : CAA de Lyon, 27 nov. 2003, Najet Ben Abdallah ; req. 03LY0192 ou TA de Toulouse, ord., 17 avril 2009, Sabrina T. c. Université Toulouse III Paul Sabatier ; req. 091424. C’est aussi ce qu’a confirmé le juge européen des droits de l’Homme : Cedh, 26 nov. 2015, Christiane Ebrahimian c. France ; req. n°64846/11 et qu’a rappelé le Conseil d’Etat dans sa formation consultative (à la demande et sur saisine du Défenseur des droits) dans son étude datée du 19 déc. 2013 ; spéc. p. 28.

[5] Cass., Soc., 19 mars 2013, Cpam de Seine-Saint-Denis ; req. 12-11.690. La jurisprudence de la même chambre et dite Baby-Loup (du même jour ; req. 11-28.845) a même étendu cette obligation de neutralité à des organes non expressément qualifiés de services publics mais dont le règlement intérieur le permet (ce qu’a repris explicitement l’art. L 1321-2-1 du Code du travail modifié à la suite de la Loi dite El Khomri du 08 août 2016).

[6] En ce sens : CE, 12 févr. 2020, M. B. c. Centre hospitalier de Saint-Denis ; req. 418299 ; avec nos obs. : « Au nez et à la barbe des juges du fond, le Conseil d’Etat rappelle (enfin) qu’en soi porter la barbe n’est ni illégal ni contraire au principe de Laïcité » in Jcp A ; 24 février 2020 ; n° 08 ; p. 03 et s.

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